Cela rentrera probablement dans le « Livre Guinness » des records mondiaux. Jamais un chef d’Etat fraichement élu n’a connu un aussi court état de grâce. L’état de grâce est la période pendant laquelle l’opinion accorde encore du crédit à un pouvoir nouvellement mis en place, avant de déchanter. Ce capital de crédit peut durer des mois, l’opinion espérant que les politiques promises, les décisions prises porteront des fruits.
Tout était pourtant bien parti pour le nouveau pouvoir en place au Gabon. Un plébiscite de près de 95. 0/0 de voix, bien d’autres chefs d’Etat en sont restés admiratifs, même si ce score à la soviétique a laissé bien d’observateurs de la vie politique gabonaise dubitatifs. Ce fut comme si tout avait été ficelé et scellé d’avance. Ce d’autant plus qu’il ne pouvait en être autrement, avec un Ministre de l’Intérieur et toute son administration acquis à la cause.
Qu’à cela ne tienne. Le capital de sympathie et d’adhésion était certain. Le seul fait d’avoir débarrassé le pays du nom de Bongo constituait un argument en béton. Il sortait beaucoup de Gabonais qui n’en croyaient plus de la résignation, du fameux « on va encore faire comment ». Et d’aucuns ont cru à la révolution, c’est dire à une transformation radicale de la société. D’où le « Coup de la libération », en lieu et place d’un coup d’Etat militaire.
C’est donc dans cette ambiance euphorique que l’élection présidentielle a été presqu’organisée à la va-vite, dans la précipitation et l’anticipation. Il fallait tout faire, avant que l’opinion ne déchante et que les courbes de sondage commencent à dégringoler.
Voilà donc qui explique le résultat obtenu, même si le bourrage des urnes y a beaucoup contribué et si la donne ethnique, argument des Fang du Woleu Ntem, notamment y a été pour beaucoup également.
Tout ceci vient d’être douché par deux évènements qui n’ont laissé l’opinion indifférente. Il y a d’abord cette poudre d’escampette prise par la famille d’Ali Bongo Ondimba. L’opinion en reste abasourdie, estomaquée et très traumatisée, elle qui attendait un procès des fugitifs en bonne et due forme. Elle voulait savoir de quelle manière le pays a été dirigé et géré pendant les 14 années de magistère d’Ali Bongo Ondimba. Qui était aux responsabilités pendant cette longue période et qui a fait quoi ? Qui était à la manœuvre en 2016, lorsque des Gabonais ont été assassinés sur le Boulevard Triomphal de Libreville et le Quartier Général du candidat Jean Ping pris d’assaut ? Et puisqu’il est question de détournements massifs de deniers publics, de blanchiment d’argent, de trafics de stupéfiants, de faux et usage de faux, qu’en est-il exactement ? Quels en sont les auteurs et les complices ?
Ali Bongo Ondimba, Sylvia Aimée Valentin Bongo Ondimba, Noureddin Valentin Bongo Ondimba ont emporté tous ces secrets dans leurs valises. Beaucoup de Gabonais ont le sentiment que de là- haut, on les a aidés à faire leurs bagages et on a demandé au chef d’Etat angolais de leur affrété un avion nuitamment. Et ça, les Gabonais, dans leur écrasante majorité ne le pardonneront jamais et ils fulminent de colère. D’où la chute vertigineuse du capital de sympathie du nouveau pouvoir au sein de l’opinion, et en un temps record.
Puis, il y a cette affaire de la perte de l’île Mbanié. Elle reste au travers de la gorge de beaucoup de Gabonais, et la colère monte. Ils se disent trahis et imputent, à tort ou à raison, cette trahison au nouveau pouvoir même si, faut-il le reconnaitre et l’avouer, ce dernier n’y pour grand-chose, les négociateurs ayant été de piètre qualité et ayant privilégié leurs propres intérêts au détriment de ceux de la nation entière.
Une telle trahison, les Gabonais risquent de ne jamais l’oublier, même si pour les calmer et les amadouer, on leur dit que les villes de Mongomo et d’Ebebéyin reviendraient bientôt au Gabon, quand bien même beaucoup savent qu’il ne s’agit là que d’un fantasme.